La bataille dite « de Mons » est due à un ensemble de circonstances absolument étrangères aux volontés des adversaires. Ni l’un ni l’autre ne voulaient ou n’auraient dû se rencontrer en cet endroit, car il s’agit du pire champ de bataille que l’on puisse imaginer.

Les Britanniques n’ont pas eu le temps de fortifier suffisamment le secteur, mais ce n’était d’ailleurs pas leur intention. La position choisie n’était qu’un arrêt temporaire avant le grand élan pour l’offensive prévue. Hélas, le repli précipité et inattendu de la cinquième armée française obligea le Maréchal FRENCH à rester sur ses bases, tout en promettant de tenir 24 heures. Il permettait ainsi de briser l’avance allemande et aux troupes françaises de desserrer légèrement l’étreinte ennemie et de souffler un peu.

Cependant, pour la défense, le terrain était mal choisi et inapproprié, malgré la longue ligne droite du canal de Mons à Condé qui, à l’époque pouvait encore constituer un obstacle majeur pour un assaillant. Terrain mal choisi, parce que trop de ponts et d’écluses à défendre, ce sont bien sûr les points de passage obligés de l’adversaire ; terrain mal choisi, parce que les champs de tir sont trop réduits tant pour l’infanterie que pour l’artillerie ; terrain mal choisi, parce que les villages tant au bord du canal qu’à l’arrière regorgent de petites rues et de ruelles où il est très malaisé de manœuvrer ; terrain mal choisi, parce que le paysage est encombré de terrils qui sont peut-être de bons postes d’observation, mais se dominent les uns les autres ; terrain mal choisi enfin, parce que le salient est quasiment impossible à défendre en raison de sa configuration, il faut en effet encager trop de troupes dans un espace exposé de tous les côtés.

Il faut pourtant répéter que FRENCH et ses généraux n’ont pas choisi le lieu de leur défense, ce sont les éléments extérieurs et les circonstances qui ont fait le choix pour eux et qui leur ont imposé cette position.
 
Du côté allemand, la situation est encore plus claire. Tant le Grand Quartier Général que les commandants d’armée ou de corps d’armée ignoraient la présence des Britanniques en Belgique. Ils savaient bien qu’un corps expéditionnaire avait débarqué dans les ports français (la presse neutre et alliée en avaient largement fait écho), mais ils étaient incapables de le localiser. La version la plus largement admise était qu’il devait se diriger vers Anvers ou à la côte belge en soutien des ports et de l’armée belge en mauvaise posture. Ce ne fut que le 22 août que le voile d’ignorance se déchira, c’est-à-dire la veille de la bataille. Ce fut dû, d’une part, à la chute de l’avion britannique à Marcq et d’autre part, à la charge de Casteau. Pour les Allemands ce fut une surprise totale et inattendue. À ce moment, il était trop tard pour changer l’ordre de marche des troupes. Une partie du brouillard se levait, car maintenant les Allemands connaissaient la présence proche des adversaires, mais ils étaient incapables de déterminer leurs effectifs et donc leur puissance. La même incertitude régnait d’ailleurs dans le camp britannique, car si FRENCH et son état-major connaissaient parfaitement l’axe de progression allemand, ils ignoraient l’importance des effectifs qui leur seraient opposés. Les renseignements fournis par les Français sous-estimaient et de loin le nombre des divisions ou des corps d’armée adverses.

En fait, si le corps expéditionnaire britannique fut sauvé de l’encerclement et partant de l’anéantissement, ce fut grâce aux erreurs commises par Von KLUCK et Von BULOW. En effet, von KLUCK aurait dû marcher vers Amiens avant de tourner vers Paris, c’est ce que les ordres prévoyaient d’ailleurs, mais fort indépendant et dans sa hâte d’arriver le premier et le plus vite dans la prestigieuse capitale tant convoitée, il n’en fit qu’à sa tête, trop sûr de réussir. Von BULOW, de son côté, a retardé sa traversée de la Sambre d’un jour, pour regrouper son armée. Sans cet arrêt intempestif, il aurait pu enfermer FRENCH et ses troupes dans un piège où il aurait été bien difficile, sinon impossible de sortir.
 
Enfin, un autre élément a joué également en faveur du B.E.F., ce fut la retraite précipitée de LANREZAC qui l’a obligé à stopper son avance. Sans cette retraite, le B.E.F. se précipitait tête baissée dans la masse allemande, avec les conséquences désastreuses qui auraient pu en découler.

Cette bataille fut donc imposée aux adversaires sur un terrain qu’ils n’avaient pas choisi et à un moment qu’ils n’avaient pas choisi. Les deux corps britanniques avaient un secteur trop étendu à défendre, mais heureusement, les corps allemands ne sont pas montés à l’assaut tous au même moment, mais au fur et à mesure de leur arrivée sur le terrain. Ce fut encore une erreur fatale, car si certains régiments étaient au contact dès 8h00 le matin, les derniers n’entrèrent en scène qu’en fin d’après-midi, et même le IVe corps de réserve allemand n’apparut sur le champ de bataille que le lendemain. Imaginons un peu les pertes que les Britanniques auraient pu subir si la masse allemande avait attaqué d’un même élan au même moment. L’assaut aurait été formidable, irrésistible, submergeant et, malgré tout leur courage, les Britanniques n’auraient pu s’y opposer bien longtemps sans risquer un désastre d’envergure. La disproportion des armes et des hommes était trop grande, trop inégale, trop évidente. Mais il est facile de refaire l’Histoire après coup…
 
Il faut enfin, pour terminer, rendre hommage au courage, à la ténacité, à l’esprit de sacrifice et à la témérité des combattants des deux camps. Nul n’a faibli, nul n’a plié, nul n’a reculé, malgré les pertes, malgré la mitraille, malgré le découragement. Allemands comme Britanniques ont rivalisé d’audace, d’abnégation, de camaraderie et de volonté. Le nombre des tués et blessés en témoigne. Les soldats britanniques n’ont pas compris pourquoi on leur imposait de se replier, de reculer devant un adversaire qu’ils dominaient. Nulle part, excepté dans le salient, le front n’était percé. Nulle part, les Allemands n’avaient eu d’ascendant sur eux. Ils étaient invaincus, mais pourtant les ordres étaient formels, ils devaient partir, abandonner le terrain si chèrement défendu. Certains régiments même n’avaient pas tiré un seul coup de feu. C’était l’incompréhension, mais les ordres sont les ordres…

Au soir du 24 août, une page d’histoire s’est tournée à Mons. Chacun en a revendiqué la gloire, chacun en a clamé la victoire, chacun a voulu en porter le nom sur son blason. Pour Mons et les Montois, pour le Borinage et le Nord de la France, en ce jour funèbre où les canons se taisent, où la bataille s’éloigne, le couvre-feu est imposé par les vainqueurs. Avec les lumières se sont éteintes les espérances. L’une et l’autre devront attendre quatre longues années avant de renaître.