Le carillon du beffroi de Mons, un patrimoine immatériel « vivant »

LE CARILLON DE MONS

Le carillon du beffroi de Mons est un des plus anciens de Wallonie. Mis en place au XVIIe siècle, il s’est progressivement enrichi de la plupart des cloches jusqu’au XIe siècle pour en compter 49 aujourd’hui. Avec son bourdon de 5.500 kg, son poids total est de 25 tonnes, ce qui en fait aussi un des plus lourds de Wallonie.
Le carillon a bénéficié de deux restaurations au XXe siècle et d’un nettoyage et remplacement des éléments abimés par le temps en 2015, lors de la dernière phase des travaux du beffroi. Le clavier actuel, quant à lui, date de 1985. Si le carillonneur actionne les battants des cloches via un système de tringlerie mécanique, une horloge électronique enclenche un système électromécanique ancien qui joue les 4 airs folkloriques montois : El grosse cloque du catiau, La bière, Zandrine et le Canson du ropieur.
Chaque printemps, cinq carillonneurs se relaient sur l’instrument pour le plus grand plaisir du grand public. Les concerts sont visibles depuis une table interactive reliée constamment à la cabine du carillonneur (accès PMR) depuis l’étage 4 du beffroi, à l’arrière de la cabine vitrée pendant le concert du dimanche et, en live, depuis le mois d’avril via le Facebook de la Ville, du pôle muséal et de la presse locale. A l’heure du tout au net, cette initiative, une première liée au confinement et à l’état sanitaire, a été accueillie avec un grand succès et perdurera dans les prochains mois.

LES CARILLONEURS A MONS

Cinq carillonneurs jouent des concerts du dimanche mais aussi à l’occasion des commémorations, visites prestigieuses, Doudou, Descente du Père Noel, etc. Le clavier est composé de touches en bois alignées dans un bâti de fer et de bois. Un pédalier est utilisé pour les accords. Les concerts en live attestent de la forme des carillonneurs. Ce savoir-faire est, en effet, très physique. Pieds et mains sont coordonnés. L’instrument demande une certaine force et rapidité d’exécution afin que la musique composée y soit lisible.
La trace du plus ancien carillonneur connu à Mons date de 1525 au sein de la Tour à l’Horloge (tour qui a précédé l’actuel beffroi et s’est effondrée en 1661). Jacques Lescaillier occupa ainsi la charge de maître-carillonneur. Entre 1525 et 1906, on compte dix-neuf carillonneurs à Mons. Au XXe siècle, parmi les plus appréciés, citons Fernand Redouté en fonction à partir de 1906. Il est surtout connu pour avoir osé jouer la Brabançonne alors que l’envahisseur était toujours présent. Egalement horloger de la Ville, il assure également la marche des autres horloges de la cité et de la police montoise. Le tournaisien Géo Clément lui succédera en 1935 et formera l’école de carillon à Mons. A sa mort, ce fut Paula Van de Wilde et Elisabeth Duwelz, « ambassadrices » de notre cité par le biais d’invitations en Belgique mais aussi à l’internationale pendant plusieurs décennies, qui se partagèrent l’organisation des concerts dans le cadre de concerts de carillon.
Aujourd’hui, les réglages relatifs à l’horloge du beffroi sont effectués par une entreprise belge spécialisée en la matière. Les actuels cadrans visibles sur le beffroi obéissent à l’électronique. L’ancien et monumental mécanisme de l’horloge du beffroi a été restauré en 2015 par Benoit Mathieu, horloger à Namur. Visible dans les salles du beffroi, il est en état de marche pour le plus grand plaisir des visiteurs. Une partie du mécanisme date du XIVe siècle, ce qui est assez rare.
La cabine du carillonneur a été restaurée en 2015 également. De sa facture en bois qui protégeait le musicien des courants d’air et de la pluie, elle a été reconstruite en verre. Cela permet une plus grande cohésion entre le clavier et les cloches.
Manuela Valentino
Conservateur des patrimoines UNESCO

RENCONTRES AVEC LES CARILLONEURS

Manuela Valentino (Conservateur des patrimoines UNESCO) : Racontez-nous votre première visite (votre première rencontre) avec le carillon de Mons et l'ascension au beffroi de Mons

Audrey Dye : Je pense que c’était en 2010, lorsque nous avons été nommées carillonneurs. A l’époque, le Beffroi était en travaux depuis 1985 et c’était plutôt périlleux et peu encourageant : on marchait sur des planches en contreplaqué, on montait par l’escalier en colimaçon en pierre avec une guirlande de noël comme éclairage, on devait bien se garder de marcher sur les planchers temporaires puis on débouchait sur les escaliers de chantier (qui avaient le même âge que moi) pour atterrir dans la chambre de cloches et enfin la cabine en bois avec ses rideaux vieillis, devant le clavier vétuste, difficile et en mauvais état. Et tout Mons nous enviait d’avoir cette chance unique d’entrer dans le Beffroi dont une génération complète avait été privée ! On avait certainement l’impression de faire un saut dans le temps…

Patrick Poliart : Moi, je me rappelle aussi que le beffroi était en plein travaux (ascenseur extérieur, échelles à l’intérieur). Je n’y étais plus allé depuis la visite avec mon grand-père à l’âge de 8 – 10 ans. C’était un peu magique, en tant que montois, de pouvoir jouer du carillon au beffroi, un privilège, un grand honneur !

M.V. : Comment la passion du carillon vous est-elle parvenue et quelle était votre motivation? Exercez-vous d'autres activités de ce genre? Avez-vous une activité professionnelle liée ou pas?

A.D.: J’ai commencé le carillon à 12 ans. J’ai eu la chance de découvrir cet instrument via des ateliers organisés par mon école secondaire et cela a été le coup de foudre ! J’avais fait du piano auparavant mais cet instrument était spécial parce qu’il alliait ma passion pour la musique avec la découverte d’une ville, de son histoire, ses traditions, le plaisir de pouvoir y prendre part. Le carillon est aujourd’hui mon métier principal, étant carillonneuse officielle de deux villes, professeur et carillonneuse concertiste. Aujourd’hui, on se forme au carillon comme à tous les instruments : il existe des classes dans les académies, des écoles supérieures, des concours, etc.

P.P. : A quatorze ans, je suis monté au carillon de Soignies qui était à quelques mètres de chez moi avec le Conservateur de la Collégiale, Gérard Sauvage, un ami de mon père. Il savait que j’étais déjà musicien et avait sans doute senti ma sensibilité pour le carillon. J’ai alors construit un clavier d’étude sur base d’un plan, puis j’ai cherché un cours. Je me suis inscrit à Ath et ensuite à l’Académie de musique de Soignies puis à Saint-Amand-les-Eaux avec Charles Dairay qui est également carillonneur à Mons. J’étais boulanger (aujourd’hui pensionné). J’avais très peu de vie sociale avec les horaires décalés, cela me permettait de sortir de mon atelier pour jouer pour les autres, pour le public de la ville. On joue du carillon pour les autres pas pour soi. La formation est assez longue : environ 9 années. Je me suis ensuite perfectionné grâce à la rencontre d’autres carillonneurs, particulièrement dans les années 1997/1998 avec le carillonneur de Bruges et d’autres. J’étais encore débutant mais il me considérait comme un musicien et pas comme un boulanger qui jouait du carillon.
J’ai eu d’excellents contacts aussi avec les carillonneurs précédents : Paula Van de Wilde et Elisabeth Duez, décédées voici plusieurs années. Elisabeth Duez se disait ma marraine du carillon. J’ai joué avec
elle à Bruxelles, elle m’invitait et me demandait de la remplacer quand cela n’était pas ou plus possible pour elle.

M.V. : Le savoir-faire du carillonneur a été reconnu par l'UNESCO en 2014, qu’en pensez-vous? Cela a-t-il changé quelque chose?

A.D. : L’UNESCO a reconnu en 2014 l’art du carillon en Belgique, ce qui implique tout le travail que font les amateurs de carillon, les gestionnaires de carillon et enfin les carillonneurs, pour faire connaître, vivre et apprécier cet instrument. Siégeant dans le Comité qui assure le suivi de cette reconnaissance, je constate qu’on tire un bilan plus que positif de cette expérience, non seulement auprès des sphères politiques mais, aussi et surtout, des gestionnaires de carillon (ville, fabrique d’église, offices du tourisme, etc.) et du grand public. Le carillon n’est pas qu’une tradition, il est une pratique actuelle et toujours en évolution, parce que le carillon, puisqu’il est entendu par tous, parce qu’il est un instrument public, appartient à tout le monde.

P.P : Au début, je ne voyais pas ce que cela apporterait. Comme Audrey, je constate que cela a sensibilisé les communes à leur patrimoine, elles le valorisent mieux depuis. Il y a aussi l’organisation de conférences régulièrement pour les professionnels qui est fort intéressant et favorise le dialogue entre les carillonneurs, les professionnels du domaine.

M.V. : Avez-vous une rencontre particulière à nous raconter dans le cadre du carillon du beffroi de Mons ?

P. P. : Je me rappelle d’un dimanche où à la sortie d’un concert une dame âgée et sa fille étaient en pleurs grâce à l’émotion qu’elles avaient éprouvée en me voyant jouer du carillon depuis la passerelle (accès public à l’arrière de la cabine du carillonneur). Cela m’a beaucoup marqué et j’en garde encore un vif souvenir..

M.V. : Comment vivez-vous confinement et carillon ? Le fait de ne pas pouvoir y accéder pour répéter par exemple mais par contre votre expérience, fort repérée par le public lors des concerts en live, en hommage au personnel et aux personnes qui œuvrent contre le coronavirus?

P. P.: Le nombre de vues de ces concerts en live est impressionnant.
Pendant le confinement, en tant que carillonneur, j’ai reçu un laisser passer pour la ville de Soignies pour y jouer régulièrement. A Mons, lors du premier concert en hommage aux personnes qui œuvrent contre le coronavirus, j’ai joué les airs de Mons disparus ou peu connus. J’essaie de remettre les vieux morceaux dans la programmation : Julos, Lolot (Charleroi), etc. J’espérais faire le concert du Doudou le 7 juin. En tant que montois, j’y tenais mais vu le report cela ne sera pas possible cette année.

A.D.: Je pense que, comme tous les artistes, nous aimerions faire plus en cette période pour que notre petite voix puisse aider tout le monde dans cette période difficile. Nous continuons à travailler, répéter, préparer, organiser, sans savoir si ce travail pourra voir le jour ni quand, ni comment. Le concert du 1er mai et sa retransmission étaient une vraie chance de pouvoir faire ma part ! Je crois aussi que c’est une belle opportunité pour faire mieux connaître notre métier, parce que souvent, même si tout le monde nous entend, bien peu savent ce que nous faisons. J’avoue que la vidéo est un grand stress pour moi personnellement mais je pense que le jeu en vaut la chandelle.

M.V. : Selon vous, quel rôle joue la musique dans la société et, en particulier, à l'échelle d'une ville comme Mons par le biais de son carillon?

A.D. : La musique est maintenant accessible à tous quasiment en permanence. Elle nous accompagne dans notre quotidien, dans tous les moments importants de notre vie, qu’on en ait conscience ou pas. Le carillon, à l’échelle d’une ville, ne fait pas autre chose : il doit répondre présent lors des fêtes comme des moments solennels mais, aussi, apporter des petits rayons de soleil dans le quotidien. C’est pour cela notamment que j’aime inclure dans mes programmes des chansons actuelles, du rock, des musiques de film et des pièces pour carillon qui font sonner l’instrument à son meilleur. Le carillon sur lequel je joue n’est pas « mon » carillon, il est à tous et pour tous.

P. P. : La musique du carillon de Mons, c’est la voix de la cité. Déjà, le beffroi est le symbole de la ville. Ça fait partie du patrimoine immatériel, sonore. Ça sonne chaque quart d’heure toutes les fêtes officielles et non officielles : le Doudou, la Libération, la Fête de la musique, le 11 novembre, la Noël, etc.

Plus d’infos sur les prochains concerts de carillon à Mons : www.beffroi.mons.be ou page officielle Facebook du pôle muséal.

Commentaires

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.