Si l’art urbain, également appelé street art par certains, est un terme souvent employé de nos jours pour désigner une pratique artistique réalisée en extérieur, il n’en reste pas moins difficile de le définir. Nous trouverons donc autant de définitions du street art et de l’art urbain, qu’il y a d’artistes et d’auteurs.

Pour avoir travaillé sur le sujet du graffiti en Belgique et de son évolution, nous pouvons affirmer que l’emploi du terme street art crée un malaise dans la sphère artistique lorsqu’on en demande une définition ou lorsqu’il est associé à la pratique d’un artiste. À Mons, on préconise l’utilisation du terme art urbain, plutôt que celui de graffiti ou street art.
Mais avant de vous en proposer une définition, il est important de revenir sur les prémices de cette pratique aux États-Unis et en Belgique, peu importe le terme que nous voulons employer.

Si le projet que nous présentons aujourd’hui ne s’apparente ni au graffiti ni au tag, aux connotations parfois négatives vu l’essence illégale de la pratique, il nous serait toutefois impossible de présenter l’art urbain sans en parler.

 

Le berceau du graffiti, les États-Unis

Le writing, terme utilisé par les auteurs Martha Cooper et Henry Chalfant, qui désigne les prémices de ce qui sera également appelé graffiti, est l'ancêtre de l’art urbain. Des jeunes américains, parfois artistes, aux intentions diverses, se sont appropriés la rue, cet espace public, pour en faire leur terrain de jeu et y apposer leur blaze (nom). Dès les années 70’, les villes de New York ou Philadelphie se sont alors vues taguées de Taki 183, Cornbread ou encore Tracy 168, pour ne citer que ceux-ci. Ces jeunes comprennent vite qu’ils vont pouvoir s’adresser à la ville en y apposant leur prénom et numéro de rue, sur des métros ou sur une façade, et ainsi, y marquer leur territoire et prouver à la ville qu’ils existent. Mais si celle-ci ne voit pas d’un bon œil cette nouvelle pratique quelque peu invasive (la première loi anti-graffiti apparaît en 1972), les premiers sociologues et galeristes, eux, saisissent très vite le potentiel artistique de cette nouvelle démarche qui sera également soutenue par la naissance d’un mouvement culturel et artistique nouveau : le hip-hop américain. Le tournant des années 80’ marque l'âge d’or de la pratique du graffiti et de sa reconnaissance. Le graffeur Crash organise l’exposition à la galerie Fashion Moda : Graffiti Art Success for America et c’est avec l’exposition Post-graffiti, en 1983, que les auteurs affirment que la machine est lancée. Le graffiti jouit d’une reconnaissance artistique par les galeristes et ne tardera pas à faire son apparition en Europe. Certains artistes, alors moins connus en Amérique, recevront un accueil favorable outre atlantique, et nos voisins, les Pays-Bas, deviendront rapidement un modèle pour la Belgique dans les années 80’.

 

Prémices de l’art urbain en Belgique : les fresques

Bien que nous pouvons considérer que le graffiti fait son apparition début 80’ en Belgique, les premières formes de peintures murales belges remontent bien avant cela. Fin des années 40', apparaissent les premières réalisations picturales grâce à l’impulsion des groupes Métiers du mur et Forces murales (P. Meert, La peinture murale, Bruxelles, Maison des Artistes - Centre d’Art Contemporain, 1985, p. 10). Ces groupes visent à revaloriser les techniques d’art mural, quelles qu’elles soient, et ainsi, désacraliser l’art sur chevalet (A. Grimmeau, Dehors!, Le Graffiti à Bruxelles, CFC Editions, 2011, p. 16).

Au début des années 70’, ce sont les muralistes, tels que Paul De Gobert ou Roger Somville, qui consacrent l’art mural, au but plus social que culturel. Les muralistes belges s’inscrivent dans la lignée des muralistes mexicains, les pionniers dans ce domaine.

D’un point de vue iconographique, la technique du trompe-l’œil, majoritairement privilégiée au début, laissera place, ensuite, à des compositions qui embrassent le mur lui-même (A. Grimmeau, Dehors!, Le Graffiti à Bruxelles, CFC Editions, 2011, p. 20-21).

Si les auteurs remarquent qu’en Belgique, l’art mural sert avant tout de cache misère (P. Meert, La peinture murale, Bruxelles, Maison des Artistes - Centre d’Art Contemporain, 1985, p. 10), nous verrons avec le projet de la ville de Mons, que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les fresques ont toutefois le même but en 2023 qu’en 1960: quelle que soit la nature du mur sur lequel elles sont apposées, elles dynamisent et valorisent un quartier, grâce à un art qualifié de public, mais elles ne comportent plus nécessairement une intention politique et sociale.

 

Du graffiti à l’art urbain : une évolution naturelle

Comme nous l’avons dit plus haut, le graffiti se répand outre atlantique grâce aux galeristes et artistes qui exportent leur savoir-faire en Europe. La Belgique verra d’abord le graffiti en galerie avant de pouvoir le découvrir sur ses murs, suivant une logique inversée par rapport à celle des Etats-Unis. Se développeront alors naturellement des crews de graffeurs (groupes) à travers la Belgique, sur le modèle français et néérlandais. Si nous ne rentrons pas ici dans les détails de cette pratique passionnante et de son évolution, nous conseillons toutefois la lecture de Dehors! Le graffiti à Bruxelles, par Adrien Grimmeau, qui retrace l’évolution de celui-ci dans la capitale.

Ce qui nous intéresse plus aujourd’hui est de vous aider à comprendre comment la pratique a évolué vers ce que la ville de Mons présente dans ce projet.

Quel que soit le terme que nous voulons employer (art urbain, street art, néo-graffiti), nous remarquons que l'engouement pour cette pratique de l’art en rue commence au tournant des années 2000’, mais nous pouvons affirmer que c’est depuis une décennie seulement, que l’art urbain a envahi les sphères publiques et privées. Ce phénomène a entraîné une augmentation et une banalisation du néo-graffiti (o = nouveau), qui l’ont conduit vers sa commercialisation et une dénomination nouvelle : le street art.

Certains protagonistes comme Alice van den Abeele, co-fondatrice du musée MIMA, ont accompagné les artistes voulant évoluer dans leur démarche car il n’était plus question de faire en galerie ce qu’ils faisaient en rue. Alice soutient alors des artistes comme Hell’O ou Blancbec que l’on peut découvrir dans les rues de Mons ou encore les non moins célèbres Invader ou Felipe Pantone. Elle a également présenté un autre artiste que l’on retrouve à Mons : Momo.

Peu à peu, le graffiti et le néo-graffiti se voient intégrés dans la scène culturelle belge : le BPS22 à Charleroi propose en 2005 Je graff, tu bombes, on signe. Citons également les Hell’O Monsters à Bozar en 2007, Jean-Luc Moerman au BPS22 en 2008, L’art du graffiti à Bruxelles au Musée d’Ixelles en 2011, le début du projet des fresques à Mons dès 2015, l'ouverture du MIMA en 2016, Belgian Crew la même année au Palais d’Egmont, YO! à Bozar en 2017 ou encore Strokar Inside qui a fait couler beaucoup d’encre en 2018, sans oublier la reprise du projet l’Art habite la ville, en 2019, qui comptera de nouvelles fresques chaque année.

Le street art est, selon nous, né des suites de cet engouement pour l’art urbain, le graffiti et le néo-graffiti. S’il éveille un aspect politique pour certains, le street art représente aujourd’hui également un aspect commercial, très vite saisi par les marques et les compagnies en tout genre.

 

Les commandes publiques

Le projet l’Art habite la ville s’inscrit dans une volonté profonde d’offrir à ses habitants et visiteurs un musée à ciel ouvert, illustrant par l’art, les moments forts de l’histoire de la ville, ses légendes et folklore qui constituent son riche patrimoine. La soixantaine de fresques qui ornent la ville jouent un rôle social et culturel fort ainsi qu’un moyen de communiquer et d’interagir avec un public, parfois averti, parfois moins. Le projet l'Art habite la Ville rejoint donc l’engagement choisi par le muraliste Paul De Gobert en 1971 : unifier la ville par la peinture. (P. Loze, Paul De Gobert, Bruxelles, Atelier Vokaer, 1983, p. 22).

Les artistes viennent d’horizons différents : certains issus du graffiti, généralement autodidactes, avec comme formation les trains, les murs et la rue, d’autres ayant étudié en écoles d’art. Parfois très habitués à peindre en rue, parfois quittant leur atelier pour la première fois, le projet regroupe autant d’artistes différents que l’on peut trouver de définition de cette ‘plus si’ nouvelle pratique artistique qui consiste à utiliser le mur à la place de la toile. Et c’est là qu’en réside sa force.

S’ils se qualifient de fresquistes, de graffeurs, pochoiristes ou simplement d’artistes, ils pratiquent cet art dit urbain, public ou encore en plein air.

L’art urbain désigne donc simplement tout art réalisé dans la rue, par un artiste, ayant préalablement développé sa pratique en amont, réfléchi son sujet et ses médiums afin de l’apposer, non pas sur une toile, mais dans la rue. L’art urbain, comme on l’entend aujourd’hui, n’est plus un art illégal, comme il a pu l’être à ses débuts.